Une décision de préemption et la modification du périmètre d’une zone d’aménagement concertée (ZAC) prises uniquement pour faire obstacle au droit de délaissement du propriétaire et à l’établissement d’une valeur de référence pour le prix des futures cessions révèlent des détournements de pouvoir. Par ailleurs, France Domaine, en fournissant un avis sur l’évaluation de la valeur vénale d’un bien non fondé sur des biens comparables, commet une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
Dans le cadre d’un projet de réaménagement du plateau situé au nord-est de la ville de Chartres, la société publique locale Chartres Aménagement, sur délégation du maire de Chartres, a décidé en 2014 de préempter une galerie commerciale pour un montant de 5,3 millions d’euros. Cette somme, correspondant à l’estimation du service des Domaines de l’Etat, était néanmoins très inférieure au prix de vente de 26,9 millions d’euros convenu avec l’acquéreur initial et a donné lieu à une contestation devant le juge de l’expropriation avant que la société publique locale ne renonce finalement à cette préemption en 2018.
La galerie commerciale se situant dans une zone d’aménagement concerté (ZAC), la société Klecar, propriétaire de cette galerie, a alors décidé de faire usage de son droit de délaissement et mis en demeure la commune de Chartres d’acquérir ce bien comme l’y autorisait l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme. Quelques mois plus tard, la commune de Chartres a néanmoins décidé de modifier le périmètre de la ZAC pour en exclure la galerie commerciale en cause, rendant de ce fait caduc le droit de délaissement de son propriétaire.
La juridiction administrative a été saisie par la société Klecar de trois requêtes tendant, d’une part, à l’annulation de la délibération municipale modifiant le périmètre de la ZAC et, d’autre part, à la condamnation de la commune de Chartres, de la société publique locale Chartres Aménagement et de l’Etat à l’indemniser des préjudices subis du fait de la préemption mise en œuvre en 2014. Ces demandes ont été rejetées par le tribunal administratif d’Orléans par des jugements à l’encontre desquels la société Klecar a formé des appels devant la cour administrative d’appel de Versailles.
S’agissant de la modification du périmètre de la ZAC, la cour a jugé que celle-ci était entachée d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle avait pour seul but de faire obstacle au droit de délaissement du propriétaire. La modification du projet d’aménagement du quartier, alléguée par la commune, n’était en effet pas établie.
S’agissant des demandes indemnitaires, la cour a jugé qu’en décidant de préempter la galerie commerciale afin d’éviter que la promesse de vente conclue par le propriétaire de la galerie ne serve de référence à France Domaine dans l’évaluation des cessions à venir, la commune et la société publique locale avaient commis un autre détournement de pouvoir.
La cour a également jugé que France Domaine, en procédant à une évaluation de la valeur vénale de la galerie commerciale au moyen d’une méthode inadaptée, avait lui aussi commis une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat.
La cour a estimé que cette faute de France Domaine avait eu une incidence sur l’appréciation de la commune et de la société publique locale quant à l’opportunité de la préemption. Elle a donc jugé que ces dernières et l’Etat devaient être regardés comme respectivement responsables de 50% des préjudices subis par le propriétaire.
La cour a cependant sursis à statuer sur l’évaluation de ces préjudices dans l’attente de la décision du juge judiciaire, saisi d’une demande d’évaluation de la valeur vénale de la galerie commerciale dans le cadre du litige relatif à l’application du droit de délaissement, cette évaluation étant nécessaire à la fixation de l’indemnité finale devant revenir au propriétaire.